mardi 30 mai 2017

Mortalité et sexualité. La mort de la mort. Mai 2017. N° 98.

Comme toujours, tout commence par le rapport à la mort. Par son refus absolu, vital obsessionnel. Parce que la vie est magnifique ou en tout cas peut l'être. Jacques Attali. Vivement après-demain. 2017.


Thème du mois : Vieillissement et fertilité.



"L'horloge biologique tourne" est une expression utilisée bien plus souvent pour désigner l'approche de la ménopause chez les femmes que la fin de la vie d'un être humain quel que soit son sexe.

Dans la nature, le vieillissement et la fertilité sont liés, mais de manière très différente selon les espèces.

Vieillissement accéléré après la reproduction

Pour de nombreuses espèces vivantes, la reproduction est un acte unique suivi d'un processus de sénescence accélérée.

Pour beaucoup d'espèces d'insectes, l'essentiel de la vie se déroule durant les stades dits larvaires. L'animal adulte vivra de quelques heures à quelques mois, se reproduira et puis mourra. Parmi les insectes les plus spectaculaires dans ce domaine, il y a les éphémères qui généralement ne vivent pas plus d'une journée au stade adulte.

Pour de nombreuses plantes annuelles (ou bisannuelles), la croissance se termine par la floraison et la mort. Il en va de même pour des espèces animales très différentes les unes des autres: les célèbres saumons du Pacifique qui remontent la rivière, fraient et meurent ; les poulpes et calmars qui pondent, gardent parfois leurs oeufs jusqu'à l'éclosion et s'éteignent au plus tard à la naissance des jeunes. Le terme technique utilisé pour cette reproduction est sémelparité.
Ce phénomène concerne aussi des espèces plus proches de l'humain. Chez une espèce de marsupial, l'antechinus, le mâle marsupial va mourir peu de temps après qu'il ait fécondé une ou plusieurs femelles.

Reproduction jusqu'à la fin de la vie

Mais la reproduction comme acte unique, n'est pas la règle générale. La plupart des êtres vivants, lorsqu'ils atteignent l'âge adulte, se reproduisent à plusieurs reprises.

De très nombreuses plantes et de très nombreux animaux se reproduisent périodiquement. L'animal le plus représentatif de ce point de vue, en tout cas en Europe, est probablement le cerf. La période de "rut" concerne de nombreuses espèces. La reproduction à un moment déterminé peut aussi suivre d'autres périodicités, par exemple le cycle lunaire déterminant les marées pour les tortues marines, un cycle de 17 ans pour la cigale Magicicada stependecim.

D'autres animaux se reproduisent chaque fois que les conditions sont favorables sans suivre des cycles extérieurs. Les lemmings, les lapins et les rats mais aussi des insectes comme les mouches domestiques et les drosophiles se reproduisent rapidement, mais ont une durée de vie maximale courte.

Enfin, chez des insectes dits "eusociaux" comme les fourmis et les termites, les reines peuvent pondre sans discontinuer pendant des années voire des décennies.

Pour tous les êtres vivants décrits jusqu'ici, soit l'acte de reproduction précède de peu la mort, soit la reproduction se poursuit jusqu'à ce que le mécanisme de sénescence, précédant également de peu la mort, la rende impossible. Pour quelques espèces, la durée de reproduction dépasse celle atteinte par les femmes. Il en va ainsi de certains reptiles. C'est le cas également d'au moins une femelle albatros, nommée Wisdom, baguée en 1956, et qui continuait de pondre en 2016, à un âge estimé de 66 ans.

Les humains et les orques

Chez de rares espèces animales, chez les femelles, la fin de la période fertile ne signifie pas nécessairement la fin proche de la vie.

En fait, la ménopause ne semble concerner que les orques, les globicéphales (des cétacés) et les êtres humains. Il existe d'autres mammifères, dont des primates, qui cessent de se reproduire à un âge avancé, mais cela n'est probablement pas systématique. À près de quarante à un peu plus de cinquante ans chez les humains et de trente à quarante ans chez les orques, la fertilité s'interrompt mais la vie se poursuit. Selon certains, ce mécanisme s'explique en terme de sélection naturelle par l'utilité des grands-mères pour l'éducation des jeunes. Pour les hommes et pour les orques mâles, la fertilité peut diminuer avec l'âge, mais l'andropause ne signifie pas l'interruption de la possibilité de reproduction.

Quelques perspectives intéressantes en matière de longévité

L'étude de la fertilité et de son évolution selon l'âge, particulièrement des animaux femelles est utile pour mieux comprendre le vieillissement:
  • Pour les êtres vivants qui meurent rapidement après s'être reproduits, l'étude des mécanismes biologiques de la période de fin de vie permet d'observer la sénescence "en accéléré" (alors qu'il faudrait des années pour mesurer la sénescence d'autres espèces).
  • La mesure de l'évolution de la fertilité (nombre de jeunes nés vivants, nombre d'oeufs pondus, nombre de graines...), permet de recueillir des données relatives au vieillissement. Le taux de fertilité sera un indicateur pour déterminer le rythme de vieillissement de l'animal (ou de la plante). Pour certaines espèces, ce taux de fertilité ne diminue pas, voire même augmente jusqu'à un âge avancé. Ainsi, des chênes multicentenaires continuent à produire des glands en nombre significatif et les séquoias produisent des cônes (contenant des graines) pendant des millénaires.
  • Il est utile de mesurer et de tenter de comprendre les liens entre certains types de fertilité et la longévité. Par exemple, en moyenne, plus un être vivant se reproduit tard, plus sa durée de vie est importante.
  • Il est souvent affirmé, y compris par des spécialistes, que, moins une espèce a de descendants (potentiels), plus son espérance de vie est longue et que la sélection naturelle favorise soit une reproduction abondante soit une vie longue. Ceci est probablement exact chez les mammifères. Par contre, cela n'est pas systématique pour les autres espèces vivantes. Les quahogs, les coraux, les éponges peuvent vivre pendant des siècles. Ils peuvent aussi avoir d'innombrables descendants. Cependant ceux-ci ne survivront quasiment jamais, sinon la planète serait couverte par ces espèces.

Comme dans bien d'autres domaines relatifs à la sénescence, force est de constater que bien des questions n'ont pas encore été explorées concernant le vieillissement et la reproduction. Des recherches plus abondantes pourraient nous offrir encore bien des pistes de réflexion pour mieux comprendre - et donc pour mieux lutter contre - les mécanismes de sénescence.



La bonne nouvelle du mois: Multiplication des conférences relatives à la longévité



L'espoir de modifications radicales dans le domaine de la longévité se mesure notamment par la multiplication des conférences à ce sujet. Au cours du seul mois de mai 2017 ont eu lieu :

Et bien d'autres activités scientifiques de type colloque liées aux questions des recherches scientifiques de santé et donc notamment à la longévité se sont déroulées au cours de ce mois.


Pour en savoir plus:

lundi 1 mai 2017

1er mai technoprogressiste pour une vie en bonne santé beaucoup plus longue

Depuis le 1er mai 2016, l'espérance de vie en bonne santé a augmenté de près d'un trimestre dans le monde. La durée moyenne de la vie des hommes et des femmes en Belgique est maintenant de plus de 80 ans. Elle est d'environ 70 ans dans le monde. Des millions de citoyens qui seraient morts au cours des douze derniers mois sans progrès de santé et croissance technologique coulent aujourd'hui des jours relativement paisibles. Jusqu'à la première moitié du 20è siècle au moins, le désir de progrès technique et le désir d'égalité sociale étaient liés. La gauche et les mouvements réclamant plus de solidarité et d'égalité rêvaient de lendemains qui chantent. Ces lendemains étaient faits de plus d'égalité, de plus de biens et d'un monde plus facile à vivre matériellement et technologiquement. Aujourd'hui, malheureusement, les progressistes ne rêvent plus guère de progrès technique, sauf dans une certaine mesure pour les énergies renouvelables. C'est probablement dû au traumatisme de l'échec de l'Union soviétique qui se réclamait du communisme et du progrès technique. Par ailleurs, le développement des pollutions et le réchauffement climatique ont mené beaucoup de progressistes à vouloir "renverser la vapeur" là où il fallait plutôt la purifier et donc l'orienter autrement. Il y a enfin la peur que les progrès augmentent les inégalités. Pourtant, contrairement à ce que beaucoup pensent, l'accélération du bien-être est plus grande dans les pays du Sud qu'au Nord. La mortalité infantile qui était une source majeure de décès poursuit sa diminution. La pauvreté multidimensionnelle décroît. Dans ce cadre de progrès humains globaux sans équivalent dans l'histoire de l'humanité, le téléphone mobile est passé en moins d'une génération du statut de bien de luxe à celui d'outil utilisé par la majorité des citoyens du monde. Plus de la moitié des adultes du monde ont désormais accès à internet. Une part énorme des connaissances collectives universelles est donc de plus en plus accessible. Ceci peut s'améliorer presque sans coût et sans discrimination, surtout si les progressistes se mobilisent en faveur de progrès techniques pour tous. Dans les développements à court et moyen terme, les (techno)progressistes pourraient exiger que chaque citoyen dans le monde ait droit à un téléphone dit intelligent (avec des accès développés à des services collectifs). Ils pourraient proposer que Google et Wikipédia fonctionnent comme des services publics de plus en plus développés. Le 22 avril a eu lieu une Marche pour les sciences dans de nombreuses villes du monde. Des scientifiques, des citoyens se mobilisent pour que les progrès scientifiques, de la santé à l'intelligence artificielle en passant par la robotisation et la lutte pour un environnement meilleur, soit utile à tous. Une gauche proactive et les citoyens soucieux de plus de solidarité doivent exiger des investissements publics importants pour permettre à tous de vivre mieux et plus longtemps. Aujourd'hui les différences entre espérances de vie au Sud et au Nord s'amenuisent. Mais si les résultats des recherches pour une meilleure santé et une vie plus longue ne sont pas publics, les progrès seront d'abord réservés aux plus aisés, seuls capables de s'offrir les soins et de vivre là où la pollution et les particules fines sont moindres. En 2017, les investissements publics en faveur de la longévité sont limités alors que Google et d'autres sociétés placent des sommes importantes et engagent des chercheurs renommés dans ce domaine. Cela crée un risque de renforcement des inégalités. Chaque centime de financement public utilisé avec succès pour des progrès médicaux contre les maladies liées au vieillissement peut bénéficier un jour à toute personne âgée. C'est l'investissement collectif le plus solidaire imaginable actuellement, un bénéfice potentiel pour des milliards d'êtres humains sans distinction de nationalité, d'origine, de capacité financière,... Des citoyens favorables aux progrès social doivent donc exiger des avancées technologiques collectives beaucoup plus rapides dans les domaines de la recherche médicale. Il est vrai que ces progressions gigantesques ne résolvent pas (encore?) tous les problèmes de bien-être. En effet, l'abondance est un instrument insuffisant pour permettre le bonheur de tous. De plus, au-delà d'un certain niveau de confort matériel, la perception du bien-être se fait surtout par comparaison avec le niveau matériel des autres, lequel progresse aussi. Il restera donc un jour à la gauche (et pas qu'à elle) à découvrir comment augmenter le bonheur dans une économie d'abondance. Pourquoi encore la gauche, et plus largement tous ceux qui sont soucieux de plus d'égalité sociale et de solidarité, doivent-ils être technoprogressistes? Pour développer l'égalité (radicale) du futur dans un monde où le travail tel que nous le connaissons sera de moins en moins nécessaire. Mais aussi parce que les progressions technologiques comprennent des risques immenses dans les développements contemporains (pollutions, effets de serre, risques pour la vie privée,...) et dans les développements à moyen terme. Ces risques à moyen terme, beaucoup moins souvent abordés, sont des risques existentiels liés à la maîtrise de plus en plus absolue de la structure du vivant, de la matière et surtout liés à une intelligence artificielle incontrôlée. Et le principe de précaution dans une société évoluant, ce n'est pas toujours arrêter les modifications technologiques, cela peut-être au contraire les accélérer pour sauver des vies et diminuer des risques. Pour que le progrès technique ait le plus de chance d'être aussi un progrès tout court, pour que les lendemains extraordinaires soient aussi des lendemains qui chantent, un des éléments favorables est une gauche proactive, capable de faire primer paix, égalité, justice et souci du bien commun sur les intérêts financiers et matériels à court terme. Il faut penser globalement pour agir localement. Il faut aussi penser à long terme pour agir à court terme. La question n'est plus de savoir si les progressions technologiques vont permettre une vie beaucoup plus longue en bonne santé, mais de réfléchir collectivement aux conséquences, de permettre à tous ceux qui le souhaitent de vivre plus longtemps et de maîtriser les risques. La science-fiction d'aujourd'hui, rêve ou cauchemar, voire plus probablement rêve et cauchemar, ne sera pas seulement la réalité de nos enfants, c'est aussi la nôtre.

Pour en savoir plus:

Réactions: didier.coeurnelle@gmail.com